We Never Take Before We Give (2002)
(Nous ne prenons jamais avant d’avoir donné)
Par Valerie Taliman
Valerie Taliman est Big Water Clan originaire de Ft. Defiance, Arizona. Elle est une écrivaine lauréate dont les ouvrages ont parus dans les magazines Ms. et Smithsonian’s American Indian, dans la revue de la presse autochtone américaine Akwe:kon et dans le magazine Winds of Change. Elle écrit dans plus d’une dizaine de journaux autochtones et elle est chroniqueuse participante au Progressive Media Project. Mme Taliman a été, pendant quatre ans, productrice-adjointe de l’émission de radio nationale primée Native America Calling et elle est une oratrice chevronnée qui se spécialise dans les questions de justice liée à l’environnement. Elle s’est vu accorder la bourse de recherche Reynolds par l'école de journalisme Reynolds de l'Université du Nevada et elle a été membre de la commission scolaire de sa collectivité. Elle occupe actuellement le poste de présidente de Three Sisters Media à Albuquerque, au Nouveau-Mexique.
« Nous ne prenons jamais avant d’avoir donné, c’est ce qu’on m’a enseigné, explique Janice Longboat, praticienne mohawk de médecine traditionnelle par les plantes médicinales. « Là réside l’équilibre de la vie. Avant de prendre une plante médicinale, nous lui offrons du tabac en signe de gratitude et nous lui parlons, nous prions avec elle et nous lui demandons de nous donner sa vie afin que nous puissions rester en bonne santé. La prière fait partie de la cueillette. Elle nous met dans l’esprit qu’il faut et favorise le phénomène de guérison par la plante ». Mme Longboat, mère de clan du clan de la Tortue, des Six Nations de Grand River, est devenue herboriste afin de remplir une promesse faite à sa mère qui fut elle-même herboriste et enseignante tout au long de sa vie.
« J’ai écouté les anciens toute ma vie, je les ai observés et j’ai appris comment utiliser les plantes médicinales », dit-elle. « Lorsque ma mère a elle-même été atteinte de maladie, je lui ai promis de conserver ce mode de vie. Plus tard, j’ai suivi tous les cours de sciences holistiques à l’université McMaster à Hamilton (Ontario) parce que je voulais comprendre l’anatomie et la physiologie des diverses maladies dont les Autochtones commencent à souffrir et dont nous n’avions jamais entendu parler dans notre enfance. »
Mme Longboat est diplômée en phytothérapie et en médecine holistique. Elle dispose désormais à la fois de connaissances scientifiques en médecine holistiques et de connaissances autochtones traditionnelles qu’elle peut combiner en vue de soigner ses patients. Elle a élaboré deux modèles de santé holistique qu’elle met à profit dans sept centres de traitement du cancer dans des hôpitaux ontariens où elle œuvre auprès des patients atteints du cancer, du diabète, du SIDA et du syndrome de fatigue chronique. Elle utilise des formules composées à partir de 200 plantes médicinales.
« Nous gardons toujours notre corps en harmonie et en équilibre en prenant des médicaments préventifs selon le cycle des saisons », explique-t-elle. « La médecine traditionnelle est préventive et fait son œuvre avant qu’un désordre se manifeste. C’est justement l’opposé de la médecine occidentale à ce point de vue. »
Mme Longboat dit que lorsqu’elle était enfant au sein des Six Nations, les herbes médicinales et les accouchements naturels à domicile étaient chose courante. « Nous n’entendions jamais parler du cancer, du diabète ni du SIDA. »
Nous souffrons maintenant de toutes ces nouvelles maladies dans nos collectivités et je passe beaucoup de temps à la recherche de nouvelles plantes afin de savoir lesquelles sont efficaces dans ces cas. J’ai recommandé des herbes médicinales dans le cas du cancer, du SIDA, de la fatigue chronique et de la fibromyalgie. Mais je n’y suis pour rien. Le Créateur nous a fait don de ces médicaments et nous savons qu’ils agissent. »
Voici, par exemple, une ancienne formule objiwée contre le cancer transmise à Mme Longboat par sa mère il y a plus de 20 ans. « Je l’ai toujours utilisée avec succès depuis. Le principal ingrédient est la racine de bardane, mais la formule comporte quatre différents médicaments. Je consacre environ dix heures à la préparer. Elle se prend sous forme de tisane. Il s’agit du meilleur épurateur de sang dont nous disposions encore. »
La sécheresse, le développement rapide, les pluies acides et autres toxines qui envahissent notre environnement menacent bon nombre de plantes médicinales traditionnelles affirme Mme Longboat : « Les pluies acides font des trous dans les feuilles, et les huiles volatiles s’en échappent, emportant avec elles le pouvoir guérisseur de la plante. »
Les médicaments traditionnels abondaient lorsqu’elle était enfant, mais de nos jours, certaines plantes sont de plus en plus rares. Dans le dessein d’assurer la survie des plantes médicinales pour les générations futures, Mme Longboat a commencé à semer des graines il y a 25 ans, chez elle et dans la nature.
« Les Mohawks ont recours à la médecine occidentales depuis deux générations seulement », observe Mme Longboat : « Je suis convaincue que nous devrons bientôt revenir aux connaissances des Autochtones. Notre survie dépend de notre capacité à transmettre notre connaissance des aliments, médicaments et cérémonies traditionnelles. Le Créateur nous a fait don de médicaments naturels afin que nous puissions nous occuper de nous-mêmes. Même si nous en avons perdu beaucoup, il nous reste des éléments du savoir traditionnel qui nous permettent d’aider notre peuple et de conserver notre style de vie. »
Mme Longboat, qui s’est récemment occupée de 17 jeunes gens en vue de leur enseigner à cultiver, récolter et préparer des médicaments traditionnels, ajoute : Je voudrais que nos enfants connaissent les plantes médicinales comme autrefois. Il nous faudrait seulement une génération pour que cela se produise. Il faudrait commencer par celle-ci. Ils doivent connaître nos aliments, nos médicaments et la spiritualité qui nous permet de communiquer. Il nous faudra un jour réapprendre le langage de l’univers. » Après avoir commencé à semer des graines, elle en est venue à fonder son Earth Healing Gardens chez elle, sur la réserve des Six Nations, où elle donne des retraites de guérison et de jeûne au milieu de l’abondance des herbes médicinales qui lui servent à soigner ses patients.
Il y a deux ans, Mme Longboat a créé le projet I da wa da di en vue d’aider les femmes autochtones à se remettre de situations traumatisantes et violentes dont beaucoup ont souffert dans les écoles résidentielles canadiennes. Elle offre également de l’accompagnement, des cérémonies, des cercles de guérison et des traitements aux herbes médicinales selon une vision holistique de la guérison des personnes, sur le plan tant spirituel que physique.
Lorsqu’elle a travaillé à la clinique Anishinabe Health de Toronto pendant près de cinq ans, Mme Longboat a traité et conseillé des centaines de femmes autochtones venues vivre en ville. La plupart lui ont confié des antécédents de violence physique et sexuelle subie pendant leur séjour forcé dans les écoles résidentielles pour Autochtones du gouvernement canadien.
« J’ai commencé à réaliser que leur douleur était reliée à cette expérience des écoles résidentielles. Je sais de quoi elles parlent, car mes sœurs et moi y sommes allées. J’ai réalisé combien j’ai été privée de l’apprentissage des aptitudes de communication et de l’art d’être parent. Nous avons perdu contact avec la famille, perdu notre langue, perdu les relations que nous avions auparavant au sein d’une famille étendue.
« Cela a des conséquences sur votre identité. Vous vous sentez perdue. Bien des femmes ont essayé de combler le vide par l’alcool et la drogue, ou même la prostitution. Elles ont appris de mauvaises façons d’entrer en relation après avoir subi de la violence, et un bon nombre ont élevé leurs enfants dans ce milieu. Les conséquences se font sentir de générations en générations.
Mme Longboat et une collègue ont décidé de demander des fonds à la Fondation autochtone de guérison qui a publié, en 1997, une étude sur les conséquences pour les premières nations du Canada des traumatismes causés par les écoles résidentielles. Cette étude a donné lieu à 391 recommandations en vue de remédier aux séquelles traumatiques laissées par la vie au pensionnat. « Je veux faire quelque chose », dit-elle. « Nous avons mis au point des outils fondés sur la culture autochtone afin de réduire les dommages causés. Le projet a en fait pour objectif de donner aux femmes un moyen de s’exprimer de nouveau ». Au pensionnat, nous n’avions pas le droit de nous exprimer dans notre langue. Personne ne pensait que nous avions quoi que ce soit d’important à dire. Alors les femmes ont arrêté de parler et lorsqu’elles ont eu une famille, elles n’ont pas communiqué. C’est pourquoi notre projet porte le nom de I da wa da di qui, en mohawk, signifie : « Trouvons notre voix. » Les bénéficiaires ont afflué dès la mise en œuvre du projet. Earth Healing Gardens et le centre de retraite ont mis en œuvre une série d’ateliers de formation à l’intention des femmes autochtones qui oeuvrent auprès des survivantes de la violence transmise de générations en générations.
« Il est important de ramener nos femmes dans le cercle de la vie et de leur redonner leur voix afin qu’elles puissent emprunter la voie de la guérison, dit Mme Longboat. Au sein des nations autochtones, ce sont les femmes qui soignent et donnent la vie. »
« Une fois qu’elles ont appris à se soigner selon la médecine traditionnelle, elles peuvent commencer à aider leurs enfants, ainsi que les membres de leur famille et de la collectivité, à rester en bonne santé dans tous les aspect de leur être. Ainsi, les nations autochtones pourront commencer à prospérer et non seulement se contenter de survivre. »
TALIMAN, Valerie. We Never Take Before We Give dans Indigenous Woman, IV: 2. Austin, Texas: Indigenous Women's Network, 2002: 18-19.