La présente histoire m’a été racontée par mon grand-père, Antoine Desjarlais, lorsque j’avais environ 17 ans.
Il m’a dit qu’il avait passé son adolescence à Saint-François-Xavier, au Manitoba. Ce village était également connu sous le nom de Plaines du cheval blanc. Il m’a affirmé que les arbres qui longeaient la rivière Assiniboine étaient tellement gros qu’il avait l’habitude de les traverser en plein milieu en rampant. Il se souvient de s’être balancé à une vigne sauvage qui poussait à cet endroit. Il se souvient aussi qu’il y avait tellement d’animaux sauvages qu’il ne se sentait jamais seul et trouvait toujours quelque animal errant avec qui jouer.
Il m’a également raconté comment son père avait l'habitude d'atteler un cheval à un traîneau en hiver et de l’amener au lac Manitoba pour harponner de gros poissons à travers la glace. Bien sûr, il fallait d’abord creuser un trou dans la glace, laquelle devait être très épaisse à cette époque. Une année, il y eu tellement de neige et de glace pendant l’hiver que la fonte du printemps occasionna une terrible inondation qui submergea toutes les maisons en bois rond de Saint-François-Xavier. Tous les villageois se réfugièrent à Stony Mountain, le seul plateau suffisamment élevé de la région. Il avait environ 13 ans à cette époque et son père lui demanda de se rendre à la cabane avec le poney et de rapporter le harpon de pêche qui était accroché au mur de la salle de séjour, car l’immersion dans l’eau le ferait gauchir et il ne serait plus utilisable. Et comme il savait combien de temps son père avait dû mettre pour lui fabriquer le harpon, il s’élança sur son poney et reprit la route vers le village. Rendu à mi-chemin, le poney s’effraya en entendant quelque chose d’énorme faire éclabousser l’eau. « J’étais plus terrifié que mon cheval », m'a-t-il dit, « d’autant plus que nous devions nager une bonne partie du trajet. » En arrivant à la cabane, j’ai trouvé une fenêtre ouverte à travers laquelle j’ai plongé, pour ressortir aussitôt avec le harpon. J’ai alors commencé à rebrousser chemin, mais je ne pouvais cesser de penser à cette énorme chose qui faisait éclabousser l’eau. Prenant alors le bout d’une corde que j’avais trouvée, je l’attachai à l’extrémité du harpon. J’attachai ensuite l’autre bout de la corde à la queue du poney. Rendus à l’endroit où j’avais vu la « chose », je saisis mon harpon et le lançai de toutes mes forces dans la direction où la « chose » se débattait dans l’eau. Je lançai aussitôt mon cheval à fond de train; ce qui me coûta peu d’efforts, car je sentais qu’il était aussi terrifié que moi. Le reste du trajet me paru particulièrement long avant que nous arrivions à l’endroit où les villageois s’étaient rassemblés. Après que mon poney eu touché la terre ferme, les gens commencèrent à se demander ce que je pouvais bien traîner derrière moi. On s’aperçu bientôt qu’il s’agissait d’un esturgeon de 100 livres. Le poisson a permis aux gens affamés d’apaiser leur faim, et je me suis senti très fier de moi-même ce jour-là, surtout lorsque les aînés m’assurèrent que je deviendrais un grand chasseur.
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